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EN TERRE CREATIVE

Par Catherine Pizani

Gabriela Gómez-Mont est une magicienne du XXIe siècle. Urbaniste, rédactrice multilingue, artiste visuelle plusieurs fois primée, cinéaste documentaire et conseillère culturelle, elle a su redonner vie à plusieurs espaces urbains de Mexico et finalement lui rendre hommage. Son secret ? La « gouvernance créative », selon ses propres mots.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Crédits photo : Next City

Gabriela Gómez-Mont dans un espace de coworking sur la terrasse du Laboratoire pour la ville, think tank rattaché à la mairie de Mexico.

Quand Gabriela nous dit « l’imagination n’est pas un luxe », elle est sincère. Et il en faut de l’imagination pour changer le visage de Mexico !  « Je vis dans une ville qui ressemble à un magnifique monstre. Elle est constituée de 22 millions d’habitants, de 32 volcans en activité, d’un lac souterrain dans lequel la ville s’enfonce peu à peu… et pendant longtemps les gens disaient que cette ville était invivable, qu’elle ne devrait pas exister… et pourtant, nous sommes 22 millions à habiter à Mexico … »

La ville est un mélange extraordinaire de gens, de races, d’identités urbaines, de destins qui se croisent, d’artisans et de vendeurs ambulants aux pieds de tours high-tech, de quartiers luxueux qui côtoient sans pudeur les quartiers populaires, de petites maisons qui rongent peu à peu les collines environnantes. Mexico est une ville de tâches de soleil sur les zones d’ombre. Tissu urbain qui se nourrit de ses propres contrastes. Incomparable géant bariolé où le piment ne relève pas seulement les plats de ses habitants mais aussi les images en noir et blanc de leur quotidien et les vestiges colorés d’un passé colonial. Chaque jour la ville reçoit en son sein 9 millions de personnes, chaque jour elle inspire et expire des milliers de têtes, de pieds, de corps emportés dans le tourbillon de leur quotidien.

Mexico ne cède jamais. Debout, digne, elle s’érige en vieille reine face aux bousculements de l’Histoire, aux multiples séismes, aux cultures qui se chevauchent. Un creuset où les cultures urbaines se mélangent constamment pour mieux se réinventer.

Mexico est une ville difficile qui attire et repousse.

En 2013, le nouveau maire de la capitale du Mexique, Miguel Angel Mancera (parti de gauche) demande à Gabriela de créer le Laboratorio para la Ciudad (Laboratoire pour la ville ou Lab), un think tank créatif de la municipalité dont l’objectif est d’explorer comment la créativité urbaine et l’innovation civique peuvent changer le visage d’une mégalopole. De 2013 à 2018, la société civile et les pouvoirs publics se réunissent pour échanger, innover, inventer, réinventer, imaginer. Les défis urbains sont multiples, petits ou grands, colorés ou gris de pauvreté, mais ils ne font jamais peur à tous ces gens qui travaillent ensemble pour améliorer le quotidien des defeños.

Leur credo : la ville évolue et se nourrit de ses propres métamorphoses. Mexico est un terreau propice aux expériences urbaines nouvelles.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Crédits photo : LOCAL.MX

Le Laboratoire pour la ville a voulu créer des « territoires ludiques » dans différents quartiers de Mexico. Ici, le projet AROS, lauréat du concours de jeux urbains mis en place par le Lab et la mairie. Ce genre d’initiative a permis aux enfants de récupérer une fontaine comme espace de jeu, mais a aussi transformé le quartier qui est devenu plus sûr (moins de trafic de drogues et de prostitution). Voir la vidéo du lien suivant : https://vimeo.com/269399527

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Crédits photo : Onnis Luque

Le Laboratoire pour la ville est une véritable tribune expérimentale où la bonne volonté côtoie l’inventivité. On y retrousse ses manches pour traiter des sujets tels que la qualité de l’air, la place du piéton dans la ville, la mobilité, la culture, l’enfance, le cyclisme urbain, l’insécurité, l’innovation digitale, la démocratie, le développement durable entre autres thèmes. L’équipe du Lab, proche du maire, sert de pont entre le gouvernement et la société civile et permet ainsi de voir la ville autrement, comme un espace créatif multiforme qui offre de nombreuses opportunités et présente aussi plusieurs défis.

Pour la Journée mondiale sans voitures de 2015, le Laboratoire pour la ville et le ministère de l’Environnement ont ouvert une voie rapide aux piétons et aux cyclistes. Cette voie rapide traverse toute la ville.

En 2013, Gabriela a donc carte blanche pour exploiter tous les potentiels de sa ville. Très vite elle forme une équipe de 18 personnes (architectes, designers, programmeurs, politologues, historiens, journalistes, artistes, cinéastes, psychologues spécialisés dans la ville, experts en relations internationales etc.) qui travaillera avec des fonctionnaires de la ville et de différents ministères sur le changement systémique.

Mexico est un réseau de systèmes qui permet d’articuler des projets différents mais pas forcément incohérents les uns envers les autres. « La créativité urbaine, c’est d’imaginer des lieux destinés à l’inventivité, au-delà des endroits habituels comme les musées ou les écoles d’art. » nous dit-elle. Pour Gabriela, la créativité est illimitée puisqu’elle est en constante évolution dans une ville comme Mexico. La ville est un lieu vivant où se cultive toute sorte d’idées et son équipe en a pleinement conscience. Épaulée par la mairie, elle consulte des universitaires, des urbanistes, des philosophes, des résidents de la capitale pour aborder la question du « vivre à Mexico » sous différents angles. De ces consultations naissent 6 grandes lignes de travail à partir desquelles le Lab va travailler sans relâche pendant 5 ans : la ville ouverte, la ville piéton, la ville proposition, la ville ludique, la ville créative et la ville globale.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Crédits photo : Laboratorio para la Ciudad 

Membres de la société civile et du gouvernement intéressés par de nouvelles solutions et des prototypes permettant de relever les défis civiques.

Mettre en place des projets novateurs dans une ville comme Mexico où les classe sociales se croisent sans se voir, où les besoins sont multiples, où la fracture numérique existe, où nombre de personnes vivent au jour le jour n’est pas une tâche facile, mais les membres de cette équipe pluridisciplinaire ont appris à s’écouter, se parler, assimiler leurs différences et parfois se réinventer. Après avoir étudié d’autres expériences internationales (le New Urban Mechanics de Boston, le Mind Lab de Copenhagues et le Design Lab d’Helsinki etc.) l’équipe de Gabriela a pris conscience que chaque ville avait sa propre personnalité, et que Mexico était unique en son genre puisque chacun de ses arrondissements était une sorte de microcosme ouvert à tous les possibles.

Et les possibles sont devenus réalité. L’un des projets les plus spectaculaires a été celui ayant trait à la démocratie digitale, un système de plateformes en ligne où les citoyens de la ville ont pu s’exprimer sur des problématiques particulières voire même participer à la rédaction commune d’une nouvelle constitution de la ville de Mexico qu’une assemblée constituante a ensuite révisée et modifiée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Crédits photo : Laboratorio para la Ciudad

Le Holiday Park (ing) Day est un événement mondial où des artistes, des designers et des citoyens transforment des places de parking payantes en parcs publics temporaires. Le Laboratoire pour la ville a participé au Holiday Park (ing) Day de 2015.

Tout fleurit dans les esprits du Lab. Bus de nuit, espaces de jeux pour les enfants, pistes cyclables, art,  projets de loi, ateliers, initiatives destinées aux pouvoirs publics, conférences… La Azotea est un lieu de rencontres qui se trouve sur les toits du Laboratoire pour la ville. Entourée d’un jardin magnifique, elle permet à l’équipe de recevoir des experts nationaux et internationaux tout au long de l’année. Gabriela accueille des gens du monde entier, écoute ses voisins, observe ses concitoyens et prend le pouls de sa ville. Et pendant cinq ans les projets naissent et les idées circulent dans les esprits avides de nouveauté et de bien-être urbain.

Le Laboratoire pour la ville a servi de modèle dans toute l’Amérique latine, forgé des alliances internationales dans différents domaines et reçu des prix internationaux (Audi Urban Future Award 2014 dans le domaine de la mobilité). Désormais, Mexico fait partie du Réseau des villes créatives de l’Unesco.

Aujourd’hui Gabriela est partie pour de nouvelles aventures entre Mexico, Amsterdam et Londres, son dernier projet s’appelle Experimentalista et on lui souhaite une longue vie. Le Laboratoire pour la ville que l’on appelle aussi « Ministère de l’Imagination » de la ville de Mexico a su montrer que les mégalopoles des pays émergents, même enveloppées d’une fragilité qui leur est propre, peuvent aussi répondre aux grands enjeux climatiques et sociaux de notre époque.

Quand Gabriela parle de son expérience au sein du Laboratoire pour la ville, elle évoque de nombreuses choses et notamment des prototypes de futurs dans le présent mais sait-elle qu’elle a su rendre hommage à sa manière au magnifique poème d’Octavio Paz : « Je parle de la ville / nouveauté d’aujourd’hui et ruine d’après–demain, enterrée chaque jour et chaque jour ressuscitée / où l’on cohabite dans ses rues, ses places, ses autobus, ses taxis, ses cinémas, ses théâtres, ses bars, ses hôtels […] La ville qui nous rêve tous et qu’ensemble nous faisons, défaisons et refaisons en rêvant, la ville dont nous rêvons tous et qui change constamment… »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Crédits photo : Laboratorio para la Ciudad

Le Helminto Urbs, sorte de gros de vers que l’on trouve dans les zones marécageuses de la Vallée de Mexico a été conçu par des artistes lors d’un concours organisé par le Laboratoire pour la ville et la mairie. Installé dans quatre places différentes du Centre historique, ce Helminto Urbs a permis de poser des questions aux résidents et au public en général  sur la façon dont ils vivent leur ville. Cette enquête a eu lieu par le biais d’activités ludiques au sein de l’installation (contes, pièces de théâtre, conférences etc.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Crédits photo : Laboratorio para la Ciudad

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Crédits photo : Laboratorio para la Ciudad

Le «Cruce Seguro» (passage piéton sécurisé) vise à créer un environnement plus sûr pour les piétons dans une avenue connue pour son intense circulation.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Crédits photo : MACIA/Laboratorio para la Ciudad

Fontaine transformée en zone de jeux.  Le Lab est convaincu que le capital social d’une ville et la créativité des habitants sont fondamentaux pour changer le visage d’une ville.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Crédits photo : MACIA/Laboratorio para la Ciudad

Pour en savoir plus…

https://labcd.mx

https://www.c2montreal.com/fr/speaker/gabriella-gomez-mont/#/

https://www.youtube.com/watch?v=I1KRVzZmukM

https://www.youtube.com/watch?v=nBsTeAfF_YQ

https://vimeo.com/122363651

Catherine vit et travaille au Mexique. http://lebureaudelatraductrice.com/

Gabriella Gómez-Mont

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