par Catherine Pizani
Qu’est-ce que l’écologie ? L’un des écologistes les plus prestigieux de notre temps y répond sans détour: l’écologie c’est «décoloniser notre imaginaire et apprendre à voir le monde autrement ».
Il n’est pas facile de décoloniser notre imaginaire en se disant « demain, je commence à nager à contre-courant ». Je vis dans un pays en développement où la classe moyenne aspire à avoir une voiture dans sa chambre à coucher et au moins deux autres dans le garage. Un paradigme de consommation qui n’a rien de désuet puisqu’on le retrouve dans tout le tiers- monde. Consommer et consommer avec frénésie est prestigieux, cela ouvre les portes d’un Panthéon imaginaire dans des pays souvent bousculés par la pauvreté et la violence.
Triste constat. Le mauvais goût a encore de l’avenir.
Le défunt Edward Goldsmith, fondateur de The Ecologist[1], nous l’a suffisamment rappelé pendant plusieurs décennies: la terre n’est pas un truc rond avec des mers, des montagnes, des forêts et des déserts posés là par hasard mais Gaïa, un organisme vivant subtilement organisé pour préserver la vie. Les sept sentiers de Goldsmith sont en fait sept essais qui nous parlent d’écologie, d’évolution et d’éthique. Il part de l’histoire de l’écologie, remet en cause la théorie de l’évolution de Darwin, critique certains courants écologistes qui ont fini par servir la cause du développement économique.
Ce livre, parfois très sérieux et technique, nous invite donc à décoloniser notre imaginaire, à nous rééduquer pour mieux comprendre l’organisation du vivant. Très bien documenté, il tente de nous faire comprendre que « la société industrielle prêche les vertus de l’égoïsme, nécessaire à la bonne marche de l’économie…depuis Adam Smith (1723-1790). Pour tenter de justifier cette attitude, on se persuade que l’égoïsme règne depuis toujours dans la nature. La seule obligation consisterait à veiller à ses propres intérêts, éventuellement à ceux de ses proches en termes strictement génétiques, sans s’inquiéter des conséquences sur les milieux écologique, biologique et social.»
Goldsmith était un pionnier en matière d’écologie et le premier à articuler la notion de durabilité de façon claire et résolue. Ce philosophe environnementaliste a consacré sa vie à nous montrer que nous nous trompions et que les peuples premiers étaient certainement les gardiens d’une sagesse à faire nôtre si nous voulions préserver notre espèce.
Son livre, paru en 2006, est donc une invitation à penser ou repenser l’homme comme partie d’un tout fragile… et si nous commencions par sa conclusion qui est une magnifique entrée en matière:
« Si l’on admet ce critère, on ne saurait trouver d’entreprise plus immorale que celle qui possède notre société: le développement économique ou progrès, opérant la substitution systématique de la technosphère à l’écosphère. Ce soi-disant progrès tend à la destruction, voire à l’anéantissement, du monde des êtres vivants. Déjà les inondations, les sécheresses, les épidémies, toute une masse de perturbations dont la sévérité augmente chaque année, en manifestent les symptômes. Tel est le prix de la politique économique et sociale immorale que nous avons adoptée.
Réduire la gravité de ces perturbations implique de rejeter l’idée même de progrès, pour chercher à reconstruire, dans la mesure du possible, le monde naturel que nous avons détruit de façon si irresponsable. Si nous voulons survivre au-delà de quelques décennies sur cette planète, il faut retrouver le chemin qu’empruntaient nos ancêtres pour suivre l’éthique de l’écosphère dans toutes nos activités.»
Pour en savoir plus :
«Le Tao de l’écologie : Une vision écologique du monde » (Editions du Rocher).
Liste de ses livres :
[1] http://www.theecologist.org/ Version anglaise de l’Écologiste.