Traduit en français par Catherine Pizani
Il y a des gens qui vivent en accord avec des principes comme le développement durable, le commerce local, le lien entre les gens, la résilience, l’économie circulaire, la sobriété… Quelques centaines de pionniers partageant ces valeurs se rencontrent chaque année à la conférence du Réseau international européen des villages écologiques (le GEN-Europe) et s’enrichissent mutuellement de leurs points de vue et projets.
Cette année, lors du troisième jour de la conférence, je me suis assis dans un petit cercle de discussion avec Charles Eisenstein. Un homme participant à cet échange a déclaré que quelque chose de nouveau était en train de naître dans ce monde. Charles lui a répondu : « Et si cette “ chose nouvelle “ existait déjà sans qu’on la voit ? » Après une pause, il a ajouté: « Imaginez une conversation entre deux cellules du cerveau. L’une dit à l’autre : « Hé! Et si en fait on faisait partie d’un organisme gigantesque ? Et si nous n’étions pas tous seuls ici ? »
Crédits photo: Ängsbacka
Nous avons continué d’échanger sur cette même question : De quelle manière agirions-nous si nous étions conscients de faire partie d’une entité vivante? Et si en fait nous n’étions pas seuls face au cataclysme dont nous sommes témoins ?
Charles nous a raconté l’histoire de Roy Brubaker, un fermier de Pennsylvanie qui considère le succès comme la capacité d’être toujours disponible pour ses voisins. Quand quelqu’un avait besoin d’aide, Roy arrêtait de faire ce qu’il était en train de faire pour aider cette personne. Dès que quelqu’un l’appelait pour lui demander un coup de main, Roy apparaissait rapidement. Les voisins pensaient que Roy pouvait aider tous ces gens parce que c’était un fermier prospère qui avait réussi. Puis ils se sont rendu compte qu’il était probablement comme eux, à s’occuper d’une cinquantaine de cultures maraîchères demandant toutes énormément d’attention, en plus d’avoir un million de choses à faire. Malgré ça, il était toujours là pour les autres.
Là où se trouve la générosité se trouve la liberté. Les pauvres en Afrique restent généreux et vigoureux même en période de famine, quand ils ne sont pas bousculés par les décisions du marché international qui réduit le monde à des choses quantifiables. Charles a rajouté que le premier fondement de la modernité était la science, cette religion de la quantité qui interprète tout en chiffres et en nombres. Ensuite vient l’économie, qui impose une autre quantité : l’argent.
La science et l’économie défendent le discours dominant actuel. Comme tout dogme, elles ont leurs propres prêtres, initiations et des langages mystiques que seuls les initiés comprennent. Véritables machines bien rôdées, elles ont leur méthode pour endoctriner les enfants, elles créent des divisions internes, elles fomentent des cultes, elles exercent une influences politique et financière et disposent de rituels pour atteindre les principes de vérité qu’elle édicte. La science et la religion ne sont pas fondamentalement mauvaises, mais elles sont les garantes d’un système de connaissance qui repose dans son intégralité sur un récit auquel on ne peut se fier entièrement. Aujourd’hui, nous avons besoin d’histoires qui rapprochent les gens et favorisent l’inclusion.
Crédits photo: Ängsbacka
Solidarité, résilience et espoir
Cette année, la conférence du GEN-Europe s’est tenue à Ängsbacka, en Suède. Étant donné la situation globale dans laquelle nous vivons, cette conférence était dédiée à trois sujets : la solidarité, la résilience et l’espoir. Robert Hall, le président d’ECOLISE, a insisté sur le fait que la solidarité est inévitable car nous devons maintenir des liens avec ceux qui souffrent. Les villages écologiques sont des espaces ouverts à l’entraide et aux nouvelles idées. La résilience est à intégrer dans nos existences parce que l’humanité a besoin de s’adapter aux limites actuelles de la planète. Il est donc essentiel de se concentrer sur les Objectifs de développement durable des Nations unies et de réseauter à l’échelle mondiale. L’espoir n’est pas en train de disparaître même si nous vivons une époque sombre. Nous pouvons changer et nous adapter rapidement si cela devient nécessaire. Et si nous amorçons le changement ensemble, nous serons beaucoup plus efficaces.
Kosha Joubert, le directeur général de GEN-Europe, a souligné qu’au cours des 40 dernières années, la biodiversité de la planète a diminué de 50% alors que l’exploitation forestière, l’extraction minière et la production de déchets ont augmenté. 200 militants écologistes ont été assassinés en 2016 et il semble que ce chiffre sera encore plus élevé pour l’année écoulée. Les catastrophes naturelles s’intensifient alors qu’en même temps les villages écologiques du monde entier prouvent qu’ils peuvent contribuer à l’amélioration de la biodiversité et que les petites communautés locales trouvent des solutions plus efficaces aux problèmes mondiaux.
Ceci est l’esprit du Programme de développement du village écologique qui invite les gouvernements à utiliser ce modèle, fondé sur le pouvoir et la volonté des gens, pour atteindre les Objectifs de développement durable des Nations unies. Plus de 30 pays ont déjà exprimé leur intention de transformer leurs villages traditionnels en villages écologiques, conformément aux quatre composantes du développement durable: le social, l’écologique, l’économique et le culturel.
L’Expo des pratiques durables a bel et bien prouvé que c’est réalisable : nous avons pu y découvrir un biodigesteur, dispositif qui transforme les déchets organiques en biogaz et en engrais liquide. Un peu plus loin, se trouvait le Whike, un tricycle à voile qui peut atteindre la vitesse de 50 km/h, voire plus. Un atelier nous enseignait à fabriquer un générateur éolien domestique tandis qu’un autre nous faisait découvrir des techniques mixtes de construction à partir de matériaux naturels. Quelques dispositifs fonctionnant à l’énergie solaire y étaient également exposés, dont un four solaire pouvant atteindre les 180°C même sous le timide soleil des pays scandinaves. L’exposition présentait enfin des solutions se trouvant au croisement entre durabilité et technologies élémentaires, développées par des mouvements citoyens et destinées à simplifier la vie.
Crédits photo: Ängsbacka
Déséduquer le monde
Pour apprendre quelque chose de nouveau, nous avons besoin de « désapprendre » nos anciennes formules, de sortir des anciens schémas qui nous disent comment les choses « devraient être ». Helena Norberg-Hodge a souligné que la propagande mondiale nous enseigne que nous sommes tous naturellement agressifs et cupides et que nous avons donc besoin de structures pour contrôler ces tendances. Ceci est le postulat du système éducatif qui lui a permis de forcer les enfants à entrer dans le moule pour les rendre « meilleurs ».
Helena est la productrice du film l’Économie du bonheur (Economics of Happiness). En 1991, elle a été l’une des fondateurs-trices du GEN-Europe. Dans les années 70, au Ladakh, elle a vu des habitants jouir de niveaux extrêmement élevés de vitalité, de joie et d’estime de soi avant que l’Occident ne leur fasse croire qu’ils étaient sous-développés et arriérés. À l’époque, il pouvait se produire un suicide par génération alors qu’aujourd’hui, il y en a un par mois, surtout chez les jeunes.
Le système économique mondial est un monstre qui détruit à la fois les communautés et l’individualité qui est l’essence même de l’autonomie de l’homme. Plus les fondements de notre survie et de notre estime de soi sont menacés plus nous avons peur. En politique, ni à droite ni à gauche, on ne discute des conséquences de la déréglementation des systèmes bancaires et des marchés. Les citoyens n’ont pas leur mot à dire quand de nouveaux accords commerciaux entrent en vigueur et les politiciens les signent et les recommandent sans même les lire. Ces derniers s’engagent à ne pas mettre en danger la machine à profit de quelque manière que ce soit. Carl Schlyter, membre du parti des Verts suédois qui a lu l’Accord TTIP (Traité de libre-échange transatlantique), a présenté certains des éléments douteux de cet accord.
L’avertissement d’Helena visait à nous faire comprendre que si nous voulons nous assurer un avenir radieux, nous devons déséduquer le monde et opposer une résistance au système économique actuel. À cet effet, elle a mis en exergue cinq stratégies fondamentales : établir des liens, éduquer, résister, renouveler et célébrer. Rechercher les coupables parmi les politiciens et les PDG est une perte de temps car nos sociétés, à quelque échelon que ce soit, sont frappées d’aveuglement. Le marché s’est accaparé le droit de priver les citoyens de leur pouvoir pour mieux les influencer. La BRI (Banque des règlements internationaux), qui regroupe 60 banques centrales du monde entier, est l’une des institutions financières internationales qui protège le marché. Cependant, rechercher les responsables ou les coupables en son sein n’a aucun sens.
Helena ne nous a pas invités à rechercher les coupables, mais plutôt à adopter une attitude responsable radicale et à intégrer les réseaux d’activisme mondial. Si nous ne pouvons pas faire de déclaration ou publier, nous pouvons toujours participer à la diffusion de documentaires, de livres, d’articles… Il est nécessaire de prendre un chemin différent, sans accuser qui que ce soit, en faisant preuve d’empathie et en diffusant un message clair de renouveau. Nous pouvons contribuer à la régénération rapide des écosystèmes si nous sommes profondément unis, sans esprit de concurrence, en créant des échanges sincères et en étant en phase avec le monde naturel.
Selon Charles Eisenstein, les principales solutions sont simples et insoupçonnées. Il a utilisé le terme tricoteuses pour décrire toutes ces personnes « invisibles » qui maintiennent le tissu social vivant et entier. Les tricoteuses, ce sont toutes celles et ceux d’entre nous lorsque nous aidons une vieille dame à traverser la rue, lorsque nous continuons à rendre visite à nos parents grincheux à la maison de retraite, quand nous prenons soin d’un enfant handicapé ou prenons le temps de parler à un sans-abri, quand nous faisons la vaisselle pour quelqu’un d’autre, quand nous passons le balai, etc.
Les villages écologiques sont des tricoteuses, ils ne sont pas (pour l’instant) très visibles ou reconnus. Cependant, leur vertu repose sur le travail invisible que font leurs membres. De par leur nature même, ils sont généreux comme Roy le fermier. Les villages écologiques s’occupent d’une multitude de chose mais ne perdent jamais de vue les problèmes des gens. Le remède à l’hyper-individualisme ne se trouve pas dans l’hyper-collectivisme, mais dans le fait de comprendre ce qui soutient et renforce l’existence. Notre culture actuelle ne veut certainement pas acheminer nos sociétés vers des systèmes plus sobres mais de qualité, alors que nous, qui vivons dans les villages écologiques, pensons que ces systèmes sont la clé de l’avenir.
Crédits photo: Ängsbacka
Cet article a initialement été publié en slovène le 29 juillet 2017, dans le journal Delo.
Publié sur Nara’s blog en anglais
traduit par Catherine, qui habite à Mexique et qui a traduit des articles pour notre site
et publié par Kitty ( Catherina) de Bruin sur ce site
Les trois tricoteu(rs)sses.