« Bilan collectif et personnel et suite de l’action du collectif pour une transition citoyenne, 1er février à Evreux.
Bilan personnel de Robin Branchu, auteur de ce blog, en tant qu’initiateur d’AET : Association Evreux en Transition vers l’après pétrole.
Cette manifestation fut un succès indéniable pour plusieurs raisons :
– beaucoup de monde (même si la plupart étaient là par le bouche-à-oreilles),
– beaucoup d’échanges entre les 9 associations présentes,
– sans doute une cinquantaine de personnes présentes au même moment au plus fort de la journée,
– et cerise sur le gâteau, après une nuit pluvieuse à souhait, du beau temps !
Deux réunions bilans au moins ont suivi le 1er février :
jeudi soir 13 février au sein d’AET – en fait 5 personnes dont deux seulement sont adhérentes à AET, puis samedi 15 février avec l’ensemble des 9 associations participantes, 14 personnes en tout.
J’écris le bilan de cette réunion parce qu’autrement ce que j’y ai dit ne sera pas retranscrit intégralement – « on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même »
Voici en substance le contenu de mon intervention courte, peut-être 10 minutes.
Historiquement le mot transition, sauf erreur de ma part, a été initié par Rob Hopkins en 2008 dans son livre traduit en français en 2010, le Manuel de transition. Il s’appuie sur deux faits : le pic de pétrole et le réchauffement climatique. C’est donc bien une transition vers l’après pétrole dont il s’agit fondamentalement. Cette introduction s’impose dans la mesure où le mot pétrole et notre slogan « l’après pétrole est une bonne nouvelle » n’ont pas été acceptés par les autres associations présentes pour lesquelles « il n’y a pas que le pétrole » autrement dit il n’y a pas du tout référence au pétrole. Mais alors de quelle transition s’agit-il et en quoi notre action se différencie-t-elle de l’époque de René Dumont ?
Ensuite, historiquement, le même mouvement des Villes et Territoires en Transition – VTT, s’est approprié la thématique de la transition intérieure, se rendant compte qu’il fallait changer de posture dans nos relations humaines. Nous n’avons pas la science infuse à répandre autour de nous, la visualisation d’un monde post pétrolier est une affaire de construction collective, l’échelle collective étant au centre de la démarche de Rob Hopkins.
Puis la transition a été reprise, récupérée, transformée à toutes les sauces, parfois même dévoyée : transition énergétique qui laisse trop souvent à penser que tout va continuer comme avant grâce aux énergies renouvelables alors qu’une descente énergétique de 80 % est à prévoir, sans compter qu’une fois passé le pic de pétrole nous serons face à une crise de temps. Autre glissement : transition citoyenne d’où la notion de pic de pétrole est évincée.
Dernière récupération de la transition, que j’ai découverte depuis le 15 février, j’en dis deux mots ici : la brochure publiée par les éditions des Journaux officiels, janvier 2014, intitulée « Transitions vers une industrie économe en matières premières », avec en sous titre Les avis du Conseil Economique, Social et Environnemental. Page 18 : « Le développement de la production de biomasse repose, entre autres, sur des processus faisant appel à des algues ou des bactéries qui ont fait leur preuve en laboratoire mais dont les rendements et donc la viabilité économique ne peuvent être anticipés tant que le stade du démonstrateur industriel n’est pas dépassé ; ce changement d’échelle reste un verrou majeur. »
Et Benoît Thévard, voir ci-dessous, n’est pas cité dans ce dossier de 200 pages.
accenteur mouchet
Donc l’après pétrole, et plus précisément le pic de pétrole, est au centre de la transition des VTT. Sur ce point ma principale source d’information est le blog de Benoît Thévard qui, à lui seul, contrebalance toutes les autres désinformations dans la mesure où, d’une part, il s’appuie sur 20 études indépendantes pour estimer la date du pic de pétrole, et d’autre part il explique – et j’explique moi aussi – d’où vient la désinformation médiatique généralisée : ne pas affoler les marchés ni les lecteurs, auditeurs, téléspectateurs, et de toute façon les journalistes eux-mêmes la plupart du temps sont ignorants autant que chacun d’entre nous, politiciens y compris, sur cette échéance. Nous sommes presque tous victimes de la désinformation omniprésente. Réalité très difficile à accepter. Il faut donc dire et redire que depuis 2006 la production mondiale de pétrole stagne, elle suit un plateau oscillant (2008 étant le principal soubresaut expliqué par Benoît Thévard) et qu’elle ne pourra pas repartir à la hausse. Pour Benoît Thévard la baisse de production mondiale de pétrole, donc le pic, est pour 2013 / 2015, 2020 au plus tard. Ce n’était pas 2013, en tout cas pas officiellement. Que se passera-t-il quand ce pic sera franchi et qu’il sera reconnu publiquement, médiatiquement, car ce ne sera plus possible de le cacher ? Personne ne le sait et peu nombreux sont ceux qui se posent la question… Je ne vais pas développer davantage ici : voyez avenir-sans-petrole le blog de Benoît Thévard. C’est bien d’une question de connaissance, de niveau d’information dont il s’agit ici, ce n’est pas une question de croyance ou d’idéologie comme je me l’entends dire si souvent.
Ce qui est le plus important à comprendre, c’est que l’action côte à côte des associations présentes le 1er février ne saurait suffire à préparer l’après pétrole. C’est bien une action concertée, qui s’approprie la méthodologie du Manuel de transition, méthodologie ouverte et concertée, qui peut préparer un territoire donné à l’après pétrole.
J’ai donc présenté brièvement cette méthodologie aux 14 personnes présentes ce 15 février, en décrivant les deux grandes phases :
– la grande libération de l’imaginaire qui consiste à visualiser collectivement comment nous pourrons produire de quoi vivre localement, sans pétrole, d’ici quelques années, ce qui correspond ni plus ni moins qu’à un renouveau de l’artisanat,
– puis la grande requalification qui nécessite de se réapproprier des savoir-faire perdus, de cultiver des espèces végétales sans désherbants chimiques ni produits phytosanitaires afin de relancer notamment la filière vestimentaire et la filière bois, phase à laquelle font invités les organismes de formation locaux qui modifient en conséquence les contenus de leurs formations.
Pour Rob Hopkins, une telle dynamique locale nécessite 10 ans pour être menée à terme. Ces 10 ans nous ne les avons plus. Nous devrons opérer cette transition dans l’urgence et le stress. Raison supplémentaire pour commencer dès maintenant, pour anticiper tant que nous pouvons encore le faire.
Que fera Terre de liens dans dix ans ? Que deviendra Artisans Du Monde en 2024 ? Devrons-nous tous raisonner dans une économie effondrée ? Devrons-nous agir en termes de réseaux locaux d’entraide ? Et une fois cet effort d’imagination effectué pour les 9 associations euroises, pour les 14 associations nationales adhérentes à la charte de la transition signée à Cluny en mai 2013 et d’où a émergé cette dynamique d’évènements locaux du 1er février, quels sont les étapes de descente énergétique ? Que ferons-nous dans 5 ans ? Dans deux ans et demi ?
Quand le pétrole coûtera-t-il 10 fois plus cher ? Le principe de précaution s’impose ici. Non, l’homme ne s’est pas toujours adapté. Voir Le dernier livre de Joseph Tainter : L’Effondrement des sociétés complexes.
Agir chacun dans son coin selon le fantasme que tout va continuer encore longtemps avec notre niveau de vie et notre style de vie est très différent d’agir en participant ensemble à un processus de transition tel que l’a modélisé Rob Hopkins, sachant que sa démarche est ouverte, concertée, collective, et pas fermée comme se l’imaginent nombre de personnes qui lui sont hostiles probablement par ignorance mais probablement aussi parce qu’ils font partie des gens visés par cette fameuse phrase de Guy Péan dans le courrier des lecteurs de décembre 2013 / janvier 2014 dans La Décroissance : « Confirme-moi, militant de gauche et d’ailleurs, ta seule motivation n’est-elle pas de te convaincre que ton style de vie n’est pas en danger ? »
Alors, quelle suite au 1er février, dans l’Eure et ailleurs ? C’est comme dans Plus belle la vie, faut revenir au prochain épisode… Ou, mieux : s’impliquer dans le scénario. »