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Andy Cato, star de la musique électro, maintenant « Le parfait Boulanger » Présentation au Lycée Agricole

 

 

 

 

 

 

 

 

Il y a dix ans, j’ai lu un article sur l’industrie agroalimentaire. La lecture était très désagréable et la conclusion est restée ancrée dans mon esprit ; “si tu n’aimes pas le système, ne dépends pas de lui”. Au moment que je lisais cet article, je faisais le tour du monde en tant que musicien. Je vivais dans une des parties les plus rurales en France dans un endroit où il est impossible d’aller très loin sans voir des potagers et des poules. Encouragé par le succès de mes voisins, je voulais le faire moi aussi et j’ai commencé à m’instruire. Jusqu’à mes 35 ans, je n’avais jamais planté une plante ou même semé une graine. La première fois que je suis allé dans ma serre et que j’ai vu mes graines germées, ce fut une révélation. Lorsque ces graines sont devenues de la nourriture sur la table, quelques semaines plus tard, l’émotion que j’ai ressentie a changé ma vie.

Pour quelle raison ces connaissances ne sont pas la base de notre éducation ? L’émerveillement ressenti devant les graines se transformant en plants de tomates m’a créé une fascination pour les processus à l’œuvre dans le sol. Ces processus permettent à un miracle de se produire. Puis ensuite, j’ai vécu une prise de conscience du désastre qui se déroule dans les terres agricoles qui nous nourrissent.  Les histoires autour de la terre sont irrévocablement liées aux histoires des civilisations. Dès lors que les tribus nomades se sont installées dans une région et ont commencé à ressemer les graines de leur cultures préférées, le maintien de la fertilité du sol est devenu primordial. En fin de compte, toutes les civilisations ont fini par échouer parce que leur agriculture a échoué. Aujourd’hui, consciente de la faiblesse de son agriculture industrialisée, la Chine tente de sécuriser son approvisionnement alimentaire en achetant d’énormes étendues de terres en Afrique. Mais, les Romains ont fait la même chose. Alors que leur population rurale disparaissait dans les légions, les fermes familiales, transmises depuis des générations, ont été achetées par des propriétaires fonciers venant de loin. Ils ont cultivé des grandes surfaces avec le recours à l’esclavage. Le résultat fut un pillage rapide de la fertilité du sol. Alors que les rendements chutaient, ils cherchaient de la nourriture à l’étranger. Pendant des années ils ont cultivé leur blé dans ce qui fait maintenant partie du désert du Sahara.

 

Plus je découvrais, plus le sujet de la nourriture et de la terre devenait omniprésent. La charrue est responsable d’une énorme partie de l’érosion du sol. Son histoire est un exemple classique de la façon dont des conséquences d’un hasard peuvent devenir des idées reçues restant incontestées pendant des générations.  Jamais loin des devants de la scène sont les intérêts des entreprises agricoles. Ces entreprises infligent des dommages inimaginables sur les générations futures dans le but de générer quelques années de dividendes pour les actionnaires d’aujourd’hui.

 

Le plus ancien manuel encore existant sur l’agriculture, écrit par le romain Cato, est organisé avec les mêmes rubriques principales que n’importe quel guide sur l’agriculture durable d’aujourd’hui. Notre relation avec la terre n’a pas changée depuis nos origines et notre dépendance absolue sur cette dernière inspire l’humilité. La soi-disant « révolution verte » – la bascule vers notre agriculture chimique d’aujourd’hui qui a eu lieu après la deuxième guerre mondiale – marque le moment à partir duquel nous ne vivions plus des intérêts générés par l’immense fertilité de la terre. En effet, nous avons fait le choix d’encaisser son capital.  Ce choix doit être renversé, et nous pouvons le faire.

 

Il faut être clair, notre existence dépend entièrement des premiers quelques centimètres du sol, que nous appelons « la couche arable ». Ce revêtement, miraculeux et tellement mince, est la source de toute la vie. Dans une cuillère à soupe de terre, il existe plus d’êtres vivants que tous les hommes qui n’aient jamais existés sur la planète. Le sol contient 98% de la diversité génétique de la vie terrestre. Ces créatures transforment la mort en vie. Elles recyclent des restes d’animaux et de plantes.  Ces restes deviennent de la nourriture pour la prochaine génération de feuilles qui composent le tapis vert de la Terre. Seulement les feuilles peuvent manger le soleil. Ils transforment la lumière du soleil en nourriture, carburant, vêtements, médicaments…. Les Romains ne sont que l’une d’au moins douze civilisations qui se sont épanouies sur des sols fertiles. Ils ont fait d’énormes progrès, tels que le développement du langage écrit, des mathématiques et des systèmes financiers.  Et cependant, ils ont fini par disparaître au fur et à mesure que les sols se dégradèrent et ne purent plus nourrir leurs populations. Les dégâts causés aux sols dans ces régions sont toujours présents aujourd’hui, mais de nouvelles civilisations ont pu apparaitre ailleurs, en convertissant les forêts et les prairies en agriculture. Ils ont prospéré avec la fertilité accumulée dans le sol au fil de milliers d’années. Aujourd’hui, cependant, en raison de l’adoption à l’échelle mondiale de méthodes agricole abusives, toute la civilisation mondiale est menacée par la dégradation progressive des sols.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’ONU avertit que nous sommes à moins de 40 récoltes d’un échec total de la production alimentaire en raison de l’épuisement des sols. Dans des conditions naturelles, la formation de deux centimètres de terre peut prendre entre 500 et 1 000 ans. De nos jours, chaque année 24 milliards de tonnes de sol fertile sont irrémédiablement emportées par la pluie et les vents après avoir été broyées et laissées exposées par les machines agricoles. Cela représente 3,4 tonnes pour chaque être humain de la planète. Les pesticides, herbicides et engrais chimiques détruisent également la vie des sols et créent des réactions chimiques qui brûlent le sol lui-même. Lorsque le sol se dégrade, nous entrons dans un cercle vicieux. Il devient de plus en plus difficile de le travailler, ce qui nécessite des machines encore plus lourdes, qui endommagent davantage le sol et ainsi de suite. Après quelques décennies de ce traitement, cette terre, créée par des millions d’années de dépôts de restes de plantes et d’animaux, qui est de couleur bien foncée avec une texture granuleuse et un parfum doux naturel, est transformée en une argile ou désert de sable.  Les plantes peuvent y pousser un certain temps avec l’apport d’engrais chimiques, puis finalement, plus rien n’est possible. Au cours des 20 dernières années, une région de la taille de la France est devenue aride de cette façon. Chaque minute, nous perdons l’équivalent de 23 terrains de football de terres arables supplémentaires.

 

Les impacts d’une agriculture qui détruit la terre dépassent largement notre capacité à mettre de la nourriture sur la table.

 

Le sol et le changement climatique

Le sol est une énorme réserve de carbone, plus grande que toutes les forêts du monde. Dans jusqu’à un mètre de profondeur de terre, le sol contient 1 500 milliards de tonnes de carbone organique, soit plus de trois fois la quantité qui existe dans l’atmosphère. Sa destruction signifie la libération de grandes quantités de CO2 dans l’air. Un tiers de toutes les émissions de CO2 d’origine humaine a été libéré de cette manière.

 

La Terre et la Santé

La qualité nutritionnelle de nos aliments dépend entièrement de l’existence de plantes vigoureuses qui poussent dans des terres pleines de vie. Aujourd’hui, autant de personnes sont malades de la malnutrition liée à l’obésité que celles qui sont malades à cause de la faim. La symbiose entre la terre fertile et les racines des plantes a évolué au fil des millions d’années pour devenir un immense ensemble complexe et parfaitement fonctionnel. Dans sa forme la plus simple, la photosynthèse de la plante fournit des sucres aux travailleurs souterrains. En échange, cette vaste vie souterraine animale, microbienne et fongique en extrait la totalité des besoins nutritionnels des plantes et les transfère aux racines sous une forme que les racines peuvent absorber.

Ainsi, la plante se développe en parfaite santé. Cette santé est transférée aux animaux et aux humains qui mangent ces plantes.

Le lien entre la santé de la terre, la santé des plantes et la santé humaine, a été prouvé par des études de nombreuses fois et ça depuis des centaines d’années. Il peut s’agir d’observations de communautés qui vivent en auto-suffisance ; elles se nourrissent d’aliments cultivés dans une terre saine et ne souffrent d’aucun des cancers et d’autres maladies dégénératives qui sont devenues aussi répandues. Il peut également s’agir d’une étude menée pendant les années 1930 par 600 médecins de famille dans le Cheshire, au cours de laquelle les futures mères recevaient un régime alimentaire composé d’aliments issus de terres saines.

Les médecins avaient ceci à dire en conclusion :

« La restauration de la fertilité des terres nous concerne particulièrement. Cette étude montre sans aucun doute que la nutrition et la qualité des aliments sont des facteurs essentiels pour la santé. »

 

La terre et l’inondation

Une terre saine est notre meilleure protection contre les inondations. Elle est aussi un filtre naturel qui nous fournit de l’eau potable. Des fortes précipitations qui tombent sur les champs arables labourés provoquent une vaste érosion des sols. La terre labourée n’arrête pas l’écoulement de l’eau et la moitié de l’azote mis sur ces champs est « perdu à l’environnement » – c’est-à-dire, il se retrouve dans notre l’eau potable en tant que nitrates dangereux.

Après de fortes pluies, regardez un ruisseau qui traverse un sol non labouré, elle est claire. La nature ne laisse jamais le sol à découvert et vulnérable à l’érosion, car il est le socle de toute la vie.

Aujourd’hui, l’agriculture se concentre sur de vastes monocultures. Une monoculture est une variété unique de plante – blé, maïs, riz ou autre, cultivée sur des grandes superficies. L’humain s’est évolué en mangeant des plantes d’une grande variété et la monoculture a causé la perte de la plupart de ces plantes. La génétique végétale capable de nous fournir une véritable nutrition a été perdue avec la disparition de ces plantes..

Tout au long de l’histoire humaine, les agriculteurs ont gardé des semences de leur récolte dans le but de les semer l’année d’après. C’est la raison pour laquelle, jusqu’à récemment, le monde agricole était un patchwork immensément riche et diversifié de plantes adaptées à leur environnement local. Depuis un certain temps, certaines entreprises ont passé de nombreuses années et ont dépensé des milliards de dollars en lobbying afin d’obtenir l’interdiction pour les agriculteurs de garder et de semer leurs propres semences. La plupart les agriculteurs sont dorénavant obligés de semer des semences hybrides brevetées.

Les hybrides sont très intéressants financièrement, car ils ne peuvent pas être ressemés et doivent être achetés chaque année. Ils dépendent des pesticides, des herbicides et des engrais chimiques pour atteindre leur potentiel et ces produits sont vendus par les mêmes entreprises que celles qui vendent les semences.

Vendre quelques variétés de cultures uniformes à travers le monde est une activité intéressante pour l’ensemble des industries alimentaires. Cependant, les systèmes alimentaires dans lesquels des cultures uniformes sont produites et négociées à une grande échelle ne servent que les intérêts de ceux qui développent les graines ; c’est-à-dire, les fabricants de pesticides, les négociants en grains et les supermarchés.

 

De vastes zones de monocultures dépendent de l’épandage d’engrais issus de carburants fossiles, des pesticides issus de carburants fossiles et de la transformation à forte intensité énergétique. Non seulement les cultures nourries aux engrais chimiques sont nutritionnellement pauvres, mais la production même de l’engrais comporte un coût énorme. Afin de créer une tonne d’engrais azoté, on génère 8 tonnes de CO2. Actuellement, nous utilisons 220 millions de tonnes de cet engrais par an. De plus, lorsqu’il entre en contact avec le sol, il y a une réaction chimique qui libère de la terre encore plus de carbone sous forme de CO2.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’on considère ce type d’agriculture comme « efficace » car nous mesurons l’efficacité agricole uniquement en termes de nombre de calories produites par agriculteur. Sur une mesure « énergie par calorie », il est désespérément inefficace :  dix fois plus d’énergie est consommées pour cultiver un champ de manière conventionnelle que la quantité d’énergie qui en sort en nourriture. En termes d’énergie investie par rapport à la nutrition produite, les résultats de l’agriculture modernes sont encore pires. Cependant, il va survivre le temps qu’il reste des carburants fossiles disponibles et bon marché, et aussi longtemps que la société est prête à ignorer le coût énorme pour l’environnement, la santé et la société. Si ces coûts devaient être payés, la nourriture produite de cette manière serait infiniment plus chère que les alternatives produites localement.

Quid agriculture biologique ?

Étant donné les choix très limités auxquels sont confrontés la plupart des gens qui achètent leur nourriture dans les supermarchés, et lorsque les moyens sont disponibles, bien évidemment, j’encourage fortement à acheter bio. Mais uniquement pour la simple raison que les agriculteurs biologiques ne sont pas autorisés à utiliser les insecticides ou les fongicides que nous devons cesser d’utiliser immédiatement si nous souhaitons préserver la vie sur terre.

Notre discussion d’aujourd’hui va bien au-delà du bio. Le label bio nous dit ce que notre nourriture ne contient pas : pas de résidus de désherbants, de pesticides, de fongicides et ainsi de suite. Cependant, le label ne nous dit rien à propos de ce que notre nourriture contient et encore moins concernant de l’état du sol dans lequel il a été cultivé.

 

En agriculture biologique, les herbicides chimiques sont remplacés par un désherbage mécanique, utilisant des machines de toutes formes et de toutes tailles. Cependant, le but reste le même : se débarrasser de tout ce qui n’est pas la culture désirée. Chaque fois que la terre est cultivée, elle est diminuée. En effet, la base de la fertilité du sol est le carbone, et lorsque le sol est retourné, l’introduction de l’oxygène transforme ce carbone en CO2.

En réponse à l’érosion du sol, la nature envoie des plantes pionnières (des plantes capables de prospérer dans un sol dégradé). Elles recouvrent et protègent la terre et en même temps elles relancent le cycle de croissance et de décomposition qui crée la fertilité, la santé et la résilience avec le temps. Mais, ces plantes pionnières, qui apparaissent de plus en plus nombreuses, sont exactement celles dont l’agriculteur doit se débarrasser – rumex, chardons, liseron, etc. Pour faire face, si nous sommes « biologiques » nous les détruisons avec des machines encore plus grosses et violentes, si ce n’est pas le cas, nous les détruisons avec des produits chimiques.

Ce cycle de destruction se trouve au cœur de la récolte annuelle de cultures céréalières. Elle est la cause principale des statistiques suivantes, publiées récemment par « l’Académie Américaine des Sciences :

« Les humains représentent 0,01% de la vie sur terre. Nous avons détruit 83% des animaux sauvages et la moitié de toutes les plantes »

L’Histoire de la Ferme

J’ai décidé de rejoindre les rangs des personnes qui essayaient de faire quelque chose à ce sujet, en vendant les droits de mes chansons et en mettant tout ce que nous avions dans l’achat d’une ferme en France. Elle représentait la plupart des terres agricoles car elles avaient été exploitées de manière conventionnelle pendant quelques générations et la terre était en très mauvais état. Les premières années à la ferme ont été éducatives mais désastreuses. Sous un tsunami de choses à comprendre – tracteurs, irrigation, silos, nettoyeurs de grains, systèmes fiscaux, vendeurs de semences, acheteurs de céréales – j’ai perdu de vue la question fondamentale : comment pouvons-nous faire de la culture, sans produits chimiques et sans épuiser le sol.

Malheureusement, la crainte des mauvaises herbes et de la perte de contrôle des champs m’a entraîné dans une méthode organique sans fin de désherbage et de cultivation du sol. J’ai réussi à mettre en place des choses intéressantes – houes guidées par caméra pour désherber entre des rangées de blé bien serrées, par exemple. Mais il était clair que financièrement et écologiquement, c’était un échec.

Une chaude journée d’été pendant la deuxième année à la ferme, j’ai emprunté à un voisin une machine artisanale qui s’appelle une ‘ecimeuse’. En théorie, cette machine coupe la tête des mauvaises herbes qui dépassent la culture, avant qu’elles se mettent en graine. Mais la dure réalité ressemblait à 5 lames Flymo, montées sur une poutre fixée à l’avant d’un petit tracteur sans cabine. Pour faire face aux débris volants, il a fallu porter une paire de lunettes de vol et garder la bouche bien fermée. Cinq heures plus tard, j’ai vu la futilité de la lutte. J’étais fauché, désabusé et au point de devoir vendre la ferme et toutes les machines achetées à prix forts. Néanmoins, ce que je lisais dans des livres botaniques, anciens et modernes, commençait à se réunir en un simple message bien inspirant. La forêt pousse et donne ses fruits sans aucun produit chimique ou cultivation. Elle le fait chaque année et ce depuis le début des temps. Et encore, elle le fait tout en améliorant le sol. Avant d’être obligé d’abandonner, je voulais absolument voir si nous pouvions appliquer ce modèle à nos champs.

La forêt fonctionne grâce à une grande diversité de plantes et d’animaux vivant en symbiose. Elle se développe dans un sol non dérangé, qui n’est jamais exposé et qui est constamment alimenté par la matière végétale en décomposition sur la surface. Pour une toute dernière tentative, je commence à appliquer ces principes. Nous avons commencé à replanter des kilomètres de haies et des centaines d’arbres. Nous avons amené du bétail.  Pour quelqu’un qui n’avait jamais eu un animal de compagnie, l’arrivée d’un troupeau de vaches représentait une véritable aventure. Nous avons planté des pâturages contenant plus de 40 variétés de plantes en suivant la recherche d’un extraordinaire agriculteur britannique des années 1950 appelé Neuman-Turner.  Son bétail n’a souffert de plus aucune maladie dès qu’il a arrêté de les nourrir au grain (les vaches sont herbivores) et dès que leurs pâturages étaient suffisamment diversifiés pour leur permettre de rechercher elles-mêmes leur besoin nutritionnel.

Question : Ne devriez-vous pas devenir végan plutôt que d’investir dans des vaches ?

Réponse: Excellente question, permettez-moi de vous montrer quelques photos.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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La production de viande industrielle, pour laquelle des milliers d’herbivores sont confinés et nourris aux grains (ce qu’ils ne devraient pas manger), est très clairement un désastre à tous les niveaux. Les grains sont souvent cultivés sur des terres créées par la déforestation de forêt tropicale.  Les animaux sont gardés en vie grâce à des antibiotiques et sont boostés avec des hormones de croissance. La seule fondation possible pour une agriculture durable est celle d’une ferme mixte dans laquelle on fait tourner le bétail, l’herbe et les cultures.

Au cours des dernières années à la ferme, nous avons appliqué un système de pâturage dans lequel le troupeau se déplace tous les jours. Auparavant, les grands troupeaux naturels d’herbivores se déplaçaient de cette manière sur les plaines. En utilisant un système de « couloirs de vache » et de lignes de clôtures légères, le bétail peut avoir accès à n’importe quelle partie de la ferme à tout moment. Le bétail rend à la terre 80% de ce qu’il mange, sous forme de compost tout prêt, nourrissant la vie au sol et créant de la fertilité. En 3 ans, le vétérinaire n’a jamais eu à intervenir. Les résultats en ce qui concerne la qualité de la terre ainsi que la quantité d’insectes et d’oiseaux sont spectaculaires. Les herbivores et l’herbe ont évolué ensemble. C’est leur relation symbiotique qui a créé les grandes réserves de terre noire fertile à travers les grandes plaines des États-Unis, une réserve de fertilité que nous avons déjà épuisée. En recréant des courtes périodes de pâturage intensif qui caractérisaient le mouvement de ces grands troupeaux, nous pouvons rapidement redémarrer le cycle de vie de la terre. Sans cette symbiose, l’agriculture nécessite des produits chimiques. Et en termes de nombre d’animaux, rien n’est plus destructeur que la production de ces produits chimiques et ensuite leur utilisation. Aucun animal, grand ou petit, ne peut survivre dans un champ de maïs cultivé de manière conventionnelle.

Le bétail ne mangeant que des pâturages riches et variés produit une viande délicieuse, riche en minéraux et en vitamines et aussi parfaitement équilibrée en acides oméga.  Dès que le bétail mange des grains, les oméga-3 sont perdus, ce qui signifie que la viande devient une source excessive de ces acides gras oméga 6. Ces acides gras sont une cause d’inflammation et un problème fondamental de notre régime occidental. Pendant que le troupeau enrichit la fertilité de la terre, le carbone y est emprisonné. Les animaux, élevés de cette manière, fournissent un remède au changement climatique et n’en sont pas une cause. Pendant 4 millions d’années, la relation entre le bétail et l’herbe a créé les terres arables du monde. Elle doit le faire à nouveau. Voici les mots de Albert Howard, un homme qui a consacré sa vie à la recherche agricole :

« Aucun système d’agriculture permanent ou efficace n’a jamais été mis au point sans l’animal. De nombreuses tentatives ont été faites mais, tôt ou tard, elles ont échoué. Le remplacement du bétail par des produits chimiques est toujours suivi d’une maladie qui apparait au moment où la réserve initiale de fertilité du sol est épuisée « .

Grâce aux vaches et aux pâturages, la terre de la ferme, tellement fragile, a commencé à revenir à la vie. Mais, comment faire pour cultiver des céréales chaque année sans perturber la terre en la détruisant à nouveau ?

Plusieurs années d’expérience (souvent douloureuses) m’ont appris beaucoup de choses sur une possible réussite. Nous avons adapté des résultats de recherche venant des États-Unis pour correspondre aux plannings saisonniers et aux différentes variétés de plantes venant du sud-ouest de la France.  Nous avons obtenu des récoltes de maïs et de soja généreuses à partir de graines qui avaient été semées directement dans des champs de « cultures de couverture » – des plantes qui couvrent, protègent et enrichissent le sol et empêchent les mauvaises herbes de germer.

 

 

 

 

 

 

 

Du maïs semé directement dans une culture de vesce qui est morte et qui s’est transformé en une couche qui protège le sol et qui empêche les mauvaises herbes de se développer

J’ai distribué des fiches d’information qui détaillaient les différentes expérimentations en mettant des photos et des analyses mensuelles. Le scepticisme concernant l’anglais et ses méthodes a peu à peu diminué. Certains agriculteurs sont venus pour poser des questions et ceux du coin ont emprunté l’équipement pour l’essayer. Tout ceci était positif, mais pour moi il y avait un problème qui persistait. En observant les traces des pneus après la récolte, il était évident que si nous ne souhaitions plus labourer la terre, il fallait arrêter de la compacter avec les grosses machines. Vous ne traverseriez pas votre lotissement avec un tracteur de 15 tonnes avant de semer vos salades, alors pour cultiver des plantes saines dans une terre saine il faut appliquer la même règle.

Cette notion a inspiré un voyage en Pennsylvanie chez les Amish. Pour des raisons religieuses, ces personnes cultivent des milliers d’hectares de terre exclusivement avec des chevaux. Ce voyage m’a convaincu que la traction animale peut fonctionner à grande échelle pour l’agriculture. Une année plus tard et grâce à l’expertise équestre d’un ami qui est devenu désormais un collègue, nous avons attelé nos 4 premiers percherons à un semoir et sont devenus la première ferme contemporaine à utiliser la traction animale à grande échelle. (Derrière cette phrase, il y a d’innombrables moments de désespoir et de joie)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Our modern horse power with GPS
guidance

 

 

 

 

 

 

 

 

Entre-temps, une conversation qui a eu lieu autour d’un vieux four à pain en montagne, m’a fait découvrir une notion de blé « ancien ». Les différences qui existent entre ce dernier et ce que nous appelons « le blé » aujourd’hui sont très nombreuses et fondamentales en ce qui concerne notre santé et notre digestion (on y reviendra plus tard). En termes d’agriculture, il y a une autre différence fondamentale. Lorsque l’homme a découvert le blé, il faisait de la cueillette dans les près au bord du Nile. Parmi les différentes herbes qui existaient, il y en avait une qui poussait plus haut que les autres et qui avait des graines bien gouteuses – le blé. Lorsque nous parlons de blé ancien, il est à peine différent de ces grandes herbes des prairies découvertes par nos ancêtres. Et voilà l’origine de mon idée ; si ces blés poussaient dans les pâturages à cette époque-là, pourquoi ne serait-il pas possible aujourd’hui ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nous avons commencé à faire des expérimentations autour de la culture dans les prairies. Nous appliquons cette méthode à la ferme pour cultiver toutes nos récoltes encore aujourd’hui. C’est un système qui change la donne.  Toute la ferme est recouverte de pâturages permanents où la vie grouille et la terre s’améliore en permanence. Nous avons découvert une technique pour semer notre récolte annuelle de blé dans ces pâturages. Elle se développe en compagnie de toutes les autres plantes, mais elle pousse son épi au plus haut vers le soleil afin de murir de la même manière qu’elle l’a fait dans les pâturages du croissant fertile il y a plus de 10 000ans.

Le blé

Lorsque l’on fait de l’agriculture de cette manière, il y a des beaux résultats. En ne prenant que ce dont nous avons besoin pour se nourrir, tout en enrichissant la terre chaque année, nous créons un système durable. L’intégration des récoltes dans les mêmes champs que la symbiose entre les animaux de pâturage et la biologie du sol, crée les conditions optimales pour une terre saine durable. Cette terre saine durable est ce qui a manqué aux systèmes agricoles qui ont toujours échoué.

 

Notre blé, qui pousse dans les pâturages permanentes, fournit un foyer pour les écosystèmes qui sont la base de toute la vie. Le système agricole conventionnel de nos jours est la cause de la disparition de 90 millions d’oiseaux sauvages en Grande Bretagne. Le rapport « Etat de la Nature 2016 » nomme la Grande Bretagne parmi les pays avec la nature la plus appauvrie au monde. En Allemagne, ils ont perdu 76 % des insectes volants.

Il est primordial d’arrêter cette agriculture qui s’attaque à la nature.

 

Nos céréales récoltées dans les pâturages n’ont aucun besoin de produit chimique. Elles sont nourries exclusivement par la terre vivante et se développent en pleine santé. Le résultat est une nourriture riche en nutrition et équilibrée. Les plantes qui poussent dans une terre morte (ce qui représente la plupart de notre nourriture en ce moment), ne sont pas saines et ont besoin de produits chimiques pour survivre. Ces plantes nous fournissent une nutrition très pauvre et donc nous fournissent des calories vides à la place d’une vraie nourriture.

Les plantes qui vivent dans une terre saine et non labourée peuvent absorber et remettre dans le sol des quantités très importantes de carbone provenant de l’air. Nos terres agricoles peuvent stocker beaucoup plus de carbone que les forêts du monde. Nous n’avons pas besoin de développer des nouvelles technologies pour extraire le carbone de l’air afin d’empêcher le changement climatique, nous avons tout simplement besoin de restaurer le tapis vert de la planète Terre.

Aujourd’hui, l’agriculture est perçue selon le même modèle industriel que le charbon ou le gaz. De ce fait, la fertilité du sol devient, comme le charbon ou le gaz, une ressource épuisable. Afin d’extraire cette ressource au moindre coût de main d’œuvre, de plus en plus de « raccourcis » sont vendus aux agriculteurs, soit mécaniques, soit chimiques. En même temps, nos villes sont frappées par des crises de chômage et de surpopulation. Si l’on continue sur ce chemin, nous ne pouvons pas survivre.

Il y a 25 ans, je traversais le Royaume-Uni en participant activement à l’organisation de grandes fêtes spontanées. L’organisation se faisait exclusivement de bouche à oreille, par répondeur et cabines téléphonique. Souvent 10 000 personnes se réunissaient au lieu choisi. Ces fêtes étaient toujours extraordinaires et sur le moment nous croyions faire partie d’un mouvement qui encourageait un changement social. Je me rends compte aujourd’hui que nous avions tort. Sans contrôler notre propre source alimentaire, nous ne pouvons jamais être indépendant du système que l’on veut changer.

Prendre le contrôle de notre source alimentaire implique faire de l’agriculture, cultiver soi-même, organiser les achats par des coopératives, mais plus que tout, cela implique une prise de conscience.

Il faut être conscient qu’il existe une alternative à ce cycle destructif qui nous amène vers un avenir très sombre. Nous pouvons commencer aujourd’hui à prendre ce chemin. Les seules choses qui nous en empêchent sont quelques intérêts particuliers qui diffusent des fausses informations.

Le monde naturel est un lieu d’une beauté et d’une abondance exceptionnelles. Il est nous et nous sommes lui. Tout ce que nous mangeons, respirons et achetons ont été créés par lui. Lorsque nous déclarons la guerre contre le monde, nous déclarons une guerre contre nous-même. Lorsque nous vivons en harmonie avec lui, nous créons un cycle vertueux. La santé, l’environnement, la faune, le climat, l’eau, la justice sociale, l’emploi valorisant, et un dernier point mais pas le moindre, le bonheur. Les solutions à tous les problématiques d’aujourd’hui se trouvent dans la manière avec laquelle nous cultivons notre nourriture.

Une histoire autour du pain

Il fut un temps où, en traversant le pays, le goût du pain changea au quotidien. Les champs hébergeaient des milliers de variétés de blé, toutes adaptées aux conditions locales, telles que celles qui poussent désormais sous notre système de culture en pâturage. Celles-ci avaient été sélectionnées par des générations d’agriculteurs en fonction de leur goût, la nutrition et leur rusticité. Dans les années 50, les plantes d’antan, d’une hauteur de 6 pieds, ont été remplacés par l’hybride. Cet hybride qui n’arrive qu’à la hauteur des genoux, est celui que nous appelons « du blé » aujourd’hui.

Ces nouvelles espèces de blé nain ont été créées lors de la soi-disant Révolution Verte dont nous avons déjà parlée. Elles ont été créées capables de tolérer d’énormes doses d’engrais et pesticides  et ainsi on a pu augmenter leurs rendements. Le blé moderne nécessite des engrais chimiques – beaucoup d’engrais chimiques- car ces plantes ont des systèmes de racines minuscules, incapables d’extraire leur subsistance du sol. Il est stupéfiant de contempler la longue liste d’intrants chimiques, pesticides, herbicides et fongicides, nécessaires à la production du blé aujourd’hui.

Nous savons désormais que ce cousin éloigné du blé, bien petit, n’est pas vraiment du blé du tout. Il contient une quantité très importante de gluten, et très souvent d’importants résidus toxiques restants des 6 ou 7 épandages de produits chimiques nécessaires à sa production. J’ai découvert pour la première fois les variétés anciennes de blé (ce serait peut-être mieux si l’on parlait de variétés d’origine), dans une petite boulangerie à la ferme dans les Pyrénées.  Mais, la quête pour ma propre source de variétés anciennes de blé s’est avérée compliquée.

Elles ne sont plus en vente, coincées par les modifications légales obtenues après un lobbying acharné par des entreprises qui commercialisent les graines. Ces lois ont rendu illégale la vente de graines entre agriculteurs. Ces mêmes lois ont également restreint l’achat de graines aux variétés d’hybrides listées. Nous l’avons déjà évoqué, en ce qui concerne le vendeur, la variété hybride est idéale ; elle ne peut pas être ressemée, ce qui veut dire que l’agriculteur doit les racheter chaque année. Cependant, ce même trait signifie que, contrairement à toute plante naturelle, elles sont incapables de s’adapter aux conditions locales. Ce fait les rend dépendantes des intrants chimiques pour se développer.

 

 

 

 

 

 

 

 

Ma quête pour un blé original est restée sans succès jusqu’à ce que je croise le chemin d’un vieux paysan à la posture voutée. Il s’occupait d’un petit musée d’équipement agricole situé dans un cottage juste à côté. Il m’a conseillé d’aller voir un de ses amis, encore plus âgé que lui, qui avait fabriqué du pain jusqu’à il y a 30 ans et qui était connu pour ses variétés de blé particulières. Au milieu des ronces, qui n’avaient pas dû être dérangées depuis des décennies, j’ai trouvé un octogénaire en pantoufles. Il était très occupé avec un tour en train de travailler, au millimètre près, une pièce pour sa Citroën. La courte distance à traverser pour arriver à sa maison nous a pris un long moment. Dans la pénombre de l’intérieur, à côté du feu sur lequel mijotée une soupe dans une casserole suspendue, j’ai expliqué la raison de ma venue. « ah, vous cherchez le vrai pain », il en a conclu. Plus dans l’espoir que dans l’attente de satisfaire ma demande, il m’a amené vers son ancien silo à grain. J’ai dû grimper à travers des toiles d’araignées, accumulées depuis 3 décennies puis descendre dans la nuit noire à l’intérieur du silo. Au milieu de la poussière et détritus accumulés, j’ai trouvé une fine couche de grains de blé. Les rats ont dû décider que sortir du silo représentait un risque trop important.   J’en ai ramassé quelques poignées. Ensemble, nous les avons nettoyés et au moment de mon départ, lorsque j’ai tendu ma main, il l’a prise fermement entre les deux siennes.

Lorsque je suis rentré à la ferme, je me suis interrogé sur l’histoire familiale de ces graines. Depuis leurs débuts, quelque part au Moyen-Orient, ils ont lentement fait leur chemin vers l’ouest, à pieds, en charrette et en bateau. Ils ont peut-être été cultivés par des légionnaires romains à la retraite, sur la péninsule ibérique, avant d’être transportés de l’autre côté des Pyrénées en Gascogne. Le Prince Noir est probablement passé à côté de champs cultivés avec leurs ancêtres, et pendant des décennies ces blés auraient été utilisés de façon quotidienne pour faire le pain local. Puis, tout à coup, il n’y avait plus de descendants. Mais, un jeune paysan est resté incertain à propos de ces blés « modernes » et a continué à semer, récolter et faire cuire ses grains d’une filiation remontant à plus de 10 000 ans. Puis, il a préparé son dernier pain en laissant un demi sceau de grains dans le silo car il était trop âgé pour le nettoyer. Pendant 30 ans, elles étaient en attente…

Cette riche histoire m’a marqué et j’ai confié quelques graines dans une enveloppe « au cas où » avant de semer le reste de ce trésor. Je n’aurais pas dû m’inquiéter, ces graines sont devenues des plantes immenses. Je les ai récoltées et ressemées et après quelques années, j’en avais assez pour en semer des hectares et pouvoir en faire du blé. L’enveloppe est toujours dans mon tiroir à la ferme et de temps en temps je la sors et je contemple les graines. Elles me rendent humble, elles me rappellent que nous ne sommes que des ombres qui font un passage éclair dans la saga sans fin qui s’appelle « la nature ».

Ces variétés anciennes ne sont pas que du folklore. J’ai fait pousser du blé hybride moderne à côté de la variété ancienne. J’ai analysé le contenu minéral ainsi que le contenu en vitamines des deux variétés. En moyenne, la variété ancienne s’avérait 50 % à 60% plus riche et contenait des oligoéléments totalement absents de l’hybride. Le contenu en gluten est largement inférieur et la molécule est bien plus petite. Et en fait, comme ces blés anciens poussent en « populations » (c’est-à-dire, il existe des dizaines de variétés différentes dans le même champs), ils se croisent en permanence et évoluent pour s’adapter à l’environnement de la ferme où ils ont été semés. On peut considérer alors qu’il n’existe pas de blé plus moderne que celui qui s’adapte à son sol chaque année.

Après plusieurs années de multiplication et expérimentation, les silos étaient remplis de graines bien nourrissantes. La prochaine étape dans la création de notre modèle de ferme indépendante et autonome, était la transformation de ce blé en « farine de Naroques » par nos propres soins.

Le Moulin
En ce qui concerne l’équipement de production massive, les moulins à cylindres ont remplacé les meules en pierre. Il s’agit de rouler la couche extérieure du grain pour le retirer, puis enlever et jeter le germe du blé, là où se trouvent toutes les saveurs et les huiles très riches en nutriments. Les restes, pleins d’amidon, sont broyés pour en faire de la farine. Le germe est vendu en tant qu’alimentation animale car le fait de le garder dans la farine la rend périssable.

Les moulins à cylindres créent une farine ultra traitée et raffinée, sans aucune nutrition à part les féculents, à laquelle il faut rajouter des vitamines de synthèse pour qu’elle puisse être considérée comme de la nourriture. La farine « complète » issue de ce système n’est qu’un truc blanc auquel on a rajouté le son. Elle ne pourrait jamais être véritablement « complète » car le germe à été enlevé.

Lorsque le blé est moulu entre les meules en pierre, les trois parties du grain sont mélangées, le germe inclus. Ainsi, la farine obtenue n’est pas cette poudre blanche à laquelle nous sommes habitués, elle est de couleur d’orée, bien parfumée et tachetée.

Riche de ces renseignements et après avoir équipé la ferme de meules en pierre, j’ai apporté mes grains, fraichement moulus et pleins de nutrition, aux boulangeries à travers la France et l’Angleterre. Hélas, j’ai rencontré un autre obstacle ; personne ne voulait de ma farine. Les boulangers m’informaient qu’il serait impossible d’en faire du pain car elle n’était pas assez « forte », ce qui veut dire qu’elle ne contenait pas assez de gluten pour tenir la forme d’un pain.

Encore une fois, la catastrophe financière imminente m’a aiguisé l’esprit. J’avais du mal à accepter le verdict donné par les boulangers, car l’homme a fait du pain à partir de cette farine pendant des milliers d’années. J’ai décidé de faire le pain moi-même. En faisant la recherche sur les méthodes utilisées, j’ai découvert une raison supplémentaire qui explique pourquoi cet élément central à notre alimentation est devenu aussi toxique.

Le vrai pain

Depuis la nuit des temps, nous avons fermenter nos grains. Ceci pourrait signifier tout simplement laisser les grains dans un seau d’eau toute une nuit avant d’en faire du « porridge ». Faire fermenter est un processus de pré-digestion qui rend les nutriments assimilables par le corps humain. Très rapidement, l’utilisation de la levure a totalement remplacé les fermentations nécessaires pour le pain traditionnel car elles prenaient bien plus de temps. Mais, lorsqu’on fait du pain avec de la levure, il n’y a quasi aucune fermentation.

La production du blé pauvre en nutrition mais riche en gluten ainsi que la production de la farine ultra raffinée ont commencé en même temps que l’on a arrêté de faire fermenter le pain pour le rendre digest.

Pendant les années 60, nous sommes allés encore plus loin. On a découvert que si l’on mélangeait la pâte à grande vitesse dans des mélangeurs mécaniques, c’était possible d’y incorporer plus d’air et plus d’eau. La pâte obtenue nécessitait l’ajout de deux fois plus de la quantité de levure habituelle pour la faire lever. Il fallait également des oxydants chimiques pour y mettre du gras ainsi que de la graisse solide pour lui donner de la structure. Sans la graisse, le pain s’effondrait.

Dû au fait qu’il n’y avait pas le temps de laisser développer les saveurs, ce nouveau pain nécessitait le rajout de sel pour lui donner du gout.  Il fallait également des émulsifiants afin de boucher les trous et retenir l’air. Le processus a réduit le besoin en main d’œuvre, a réduit les coûts et a augmenté de façon significative le rendement en pain de chaque sac de farine car la pâte absorbait beaucoup plus d’eau.

De nos jours, ces produits chimiques sont incorporés pour la plupart dans un mélange d’additifs nommé « agents de traitement de la farine » Un gluten pur supplémentaire est rajouté afin de permettre à la farine de survivre le processus de production.

Ce processus est maintenant omniprésent et crée un pain qui a un indice glycémique d’environ 75 (plus l’indice gastro-intestinal est élevé, plus rapidement l’alimentation déclenche une augmentation de la glycémie, ce qui exerce une pression sur le corps, entraine de la fatigue et en plus on ressent très rapidement la faim. Tous ces éléments contribuent à l’apparition de la diabète)

Du pain ? Les ingrédients du pain industriel

 

 

 

Le vrai pain a un indice glycémique de 25 à 30.

Après plusieurs expérimentations loupées, la percée majeure pour notre pain de la ferme à Naroques a été trouvée dans un livre du 17 siècle nommé « Le parfait Boulanger ». Ce livre a été rédigé par le boulanger du Roi de France. Ses méthodes convenaient parfaitement à nos grains car au moment qu’il écrivait son livre, il n’existait que du blé local.  Aujourd’hui nous parlons de variétés « traditionnelles ».

Il n’y a que 3 ingrédients dans notre pain ; la farine de nos grains, de l’eau et du sel de mer. La farine est toujours fraiche, moulue depuis moins de 12 heures. Plus que je faisais de la recherche et des tests, plus je me rendais compte de l’importance de la fraîcheur de la farine. Les boulangeries d’aujourd’hui, artisanales ou autre, n’ont en général aucune idée concernant l’origine de leur farine. Elles ont encore moins d’idée concernant sa production, la terre dans laquelle elle a été cultivée ou son âge. Pourtant, dès que les grains sont moulus, les huiles essentielles commencent à s’oxyder, ce qui implique la perte des nutriments et les saveurs. Pensez aux grains de café et au fait que, pour obtenir une bonne tasse parfumée, nous exigeons que les grains soient fraichement moulus. Afin de refaire du pain un « super aliment », il faut que la farine soit aussi fraiche que lorsque le moulin du village se trouva à côté du four du village.

Mixer la pâte le moins possible est également très important, toujours dans le même objectif de limiter l’oxydation. Ensuite commence une fermentation très lente, ce qui veut dire que 20 heures s’écouleront avant que la pâte soit mise au four.  Dû au fait que nos grains contiennent très peu de gluten, une fermentation lente ainsi qu’un traitement en douceur sont les seuls moyens d’en faire du bon pain. Il s’agit également de la seule façon d’en faire du pain digest et plein de nutrition.

 

L’histoire concernant notre pain a circulé rapidement. Nous avons désormais un magasin au centre d’une ville locale, ce qui fournit un point de vente pour d’autres agriculteurs du coin qui cultivent également une nourriture pleine de nutrition. Notre boulangerie fournit du pain à une douzaine d’écoles locales aussi. Les enfants viennent à la ferme pour entendre l’histoire « de la fourche à la fourchette » concernant leur pain quotidien.

La ferme a désormais un modèle économique qui fonctionne et avec lequel nous employons 5 personnes sur nos 100 hectares. Si ce modèle se faisait appliquer à travers les fermes au Royaume Uni, ces dernières deviendraient le deuxième plus grosse source d’emploi après la NHS (Système de Sécurité Sociale). Mon but est de développer notre style d’agriculture ainsi que la nourriture saine et accessible pour tous, en proposant une solution « toute faite » aux agriculteurs et boulangers. Moi, j’ai tout perdu lors de la phase expérimentation, mais aujourd’hui les méthodes qui fonctionnent existent, alors personne n’aura à faire comme moi. En fait, se convertir vers nos méthodes nécessitent très peu d’investissement et les retours sur cet investissement sont bien plus importants.

 

Notre pain d’A Naroques

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le magasin à l’heure de la fermeture

 

Compte tenu du passage direct entre les gouvernements et les entreprises du secteur agroalimentaire, il n’est pas surprenant qu’il n’existe pas de subventions pour la promotion d’une nouvelle agriculture qui n’a pas besoin d’investissement lourd dans l’achat des produits chimiques ou des grains hautement rentables. Mais, la poursuite de ces bénéfices très courte terme est excessivement nocive pour notre futur sur cette planète, et nous devons tout faire pour arriver à faire accepter des changements.

 

Merci

 

Y a-t-il des questions ?

Pouvons-nous nourrir la planète ?
Celle- ci est certainement la question que l’on me pose le plus lors des visites à la ferme. La question « nourrir la planète » est celle utilisée par les entreprises multi nationales qui veulent vendre des solutions « universelles et globales ». Ce dont nous avons besoin sont des solutions diverses et locales, adaptées aux conditions du coin. Concentrons-nous sur l’objectif de nourrir notre village, puis la ville ou cité à proximité. Il est essentiel de faire accepter que nous ne puissions pas nourrir la planète pour les raisons déjà exposées. Nous sommes à 30 ans de l’épuisement définitif de la terre, nous avons perdu 80% de nos insectes qui sont la fondation de notre écosystème.

Nous jetons la moitié de notre production. Avec des modes d’approvisionnement locaux et moins gaspilleurs, nous aurions besoin de récolter la moitié de la quantité récoltée aujourd’hui. La notion de rendement est aussi trop simpliste. Elle prend en compte uniquement le poids, sans penser à la valeur nutritionnelle. Cette idée convient parfaitement à l’industrie agro-alimentaire actuelle car sa spécialité est la production d’énormes quantités de calories vides à transformer en nourriture industrielle. Cette nourriture n’a aucune valeur pour le consommateur. Dicter aux consommateurs ce qu’ils doivent manger n’a aucun sens, sauf si la méthode de production de cette nourriture lui confère une valeur nutritionnelle réelle. Cela veut dire que le point de départ doit être une terre riche et fertile. Lorsque la nourriture est remplie de nutriments, nous avons besoin d’en manger moins. Notre corps le reconnait et nous sommes plus rapidement rassasiés. Des fringales viennent du fait que notre corps cherche la nutrition qui manque dans notre nourriture d’aujourd’hui (mises à part celles déclenchées par le sel et le sucre connues depuis très longtemps car ces choses étaient difficiles à trouver).

La notion actuelle de rendement ne prend pas en compte non plus l’aspect plus global d’une agriculture pratiquée en équilibre. Par exemple, dans nos champs de blé cultivés en pâturage, les vaches et les poules passent plusieurs fois, broutant et revigorant le blé à chaque passage. Ainsi, le rendement global par hectare ne se limite pas aux grains récoltés mais comporte également des œufs et du bœuf riche en oméga-3. Alors, la réponse est oui. En pratiquant une agriculture différente, l’on peut non seulement se fournir à manger, l’on peut aussi se nourrir.

Mais, l’agriculture sans labourage n’existe -elle pas déjà ?

Bonne question, vous avez fait de la recherche ! Beaucoup d’agriculteurs ont effectivement pratiqué l’agriculture sans labourer.  La terre est laissée telle quelle, et chaque récolte successive est semée dans le chaume de la précédente. Cette pratique a commencé en Amérique du sud, là où la terre sableuse a atteint, un peu avant nous, le point de non-retour concernant l’érosion. Le problème vient du fait que cette méthode d’agriculture se base sur des applications régulières de désherbant au glyphosate. Aux endroits où ces pratiques existent depuis le plus longtemps, il y a un tel résidu de pesticide que l’on le retrouve dans les eaux de pluie. Le nombre de cas de cancer a été multiplié par 15. C’est pour cette raison qu’il est aujourd’hui primordial de développer l’agriculture sans chimies et sans labourer.

Des recherches ont démonté que seuls les systèmes d’agriculture basés sur le pâturage enlèvent et stockent une quantité importante de carbone de l’atmosphère. Notre technique de culture en pâturage est une tentative d’optimiser ce potentiel tout en produisant des aliments très nutritifs.

Quelle est la définition d’agriculture durable ?

N’importe quelle agriculture est non durable par définition si ses techniques dégradent la terre d’année en année.

Recommanderiez-vous l’agriculture ?

Echapper au travail, et plus particulièrement le travail physique est devenu une quête de vie majeure. Et pourtant, le travail est nécessaire à notre bien-être. Un travail physique bien fait et structuré qui crée l’opportunité de faire des découvertes fascinantes, représente une excellente fondation pour trouver la santé et le bonheur. Voici une opportunité parfaite pour utiliser ma citation préférée ; Cicero a dit « de toutes les professions lucratives, rien n’est meilleure, rien de plus agréable, rien de plus merveilleuse, rien ne va mieux à un homme bien élevé, que l’agriculture »

Mais, nous avons besoin de pesticides pour protéger les cultures, n’est-ce pas ?

Promenez-vous dans une forêt ou dans une prairie et vous verrez que tout se développe sans aucun problème. Si quelques plantes ou quelques arbres se trouvent attaqués par des pestes, ils se trouvent très certainement à l’ombre d’autres plantes, ou il se font étouffer par la concurrence, ou encore la terre ne leur est pas adaptée.  Nous pouvons en tirer la conclusion suivante, (et ceci a été prouvé des multitudes de fois lors de différentes expérimentations), des plantes faibles émettent des substances chimiques qui attirent les pestes qui les détruisent. De cette manière, la nature garantie la survie de plantes vigoureuses. L’industrie chimique tente de nous persuader de l’inverse : les parasites attaquent nos cultures sans discernement et que si nous ne voulons pas mourir de faim, il faut les détruire. Juste le fait que tant de nos cultures ont besoin d’une protection chimique est preuve que nous faisons quelque chose dans les champs qu’il ne faudrait vraiment pas. Ce fait est prouvé par les analyses nutritionnelles de notre nourriture. Au lieu d’attaquer le messager, la soi-disant peste, et en même temps détruire les fondations d’une chaine alimentaire entière, nous devrions commencer à cultiver des plantes saines.

 

Qu’est ce qui nous donne le droit d’élever et tuer des animaux ?

Comme je l’ai dit précédemment, l’industrie de la viande dans laquelle les animaux sont confinés, nourris avec une alimentation non-adaptées et gardés en vie avec des antibiotiques, est détestable et doit s’arrêter. Cependant, cette façon de faire n’est pas la seule possibilité pour une alimentation non-végane, et la question concernant l’humanité ainsi que les animaux est bien plus nuancée.

L’existence d’une espèce entrainera inévitablement la mort d’une certaine quantité d’autres espèces ; pensez à l’oiseau et le ver de terre, au chat et la souris etc. L’homme n’est bien évidement pas différent et sa survie dépend de sa capacité à se nourrir d’une variété d’animaux, de plantes et d’arbres. Tout est une question d’échelle. Notre impact sur d’autres espèces est aujourd’hui catastrophique, et cet impact va bien au-delà de notre nourriture. Afin de fournir des produits électroniques, des produits de luxe de synthèse et des conforts quotidiens, les forêts sont rasées et des animaux sont tués en quantités tellement énormes que nous vivons à l’époque de la « sixième grande extinction ». N’importe quelle discussion autour de notre traitement des animaux doit obligatoirement englober le sujet de consumérisme.

En termes strictement agricoles, il n’y a rien de plus destructeur pour les animaux qu’un champ de céréales ou de légumineuses cultivé de façon conventionnelle. Aucun animal, grand ou petit, ne pourra survivre dans ce qui est essentiellement un désert chimique. La production des engrais chimiques, nécessaires pour cette activité, entraine encore plus de destruction de l’habitat.

Une agriculture qui reproduit la symbiose naturelle entre plantes et animaux ne nécessite pas ces engrais chimiques. Cela signifie que les champs sont pleins de vie – depuis notre arrivée, la quantité d’oiseaux a explosé. Nos voisins, séparés de la ferme par une route, racontent qu’ils ont vu la vie dans leurs jardins explosée. Je suis donc convaincu que, dans le contexte global de l’homme vivant en équilibre avec les animaux, ce chemin est celui qu’il faut suivre.

Si l’on accepte cette idée, il faut néanmoins répondre à la question concernant le traitement des animaux. J’ai été végétarien pendant 20 ans et la première fois que j’ai dû choisir une vache et l’amener à l’abattoir fut traumatisant. Les animaux doivent être livres la veille de l’abattage. Afin de minimiser le stresse pour l’animal, je suis arrivé au plus proche de l’heure de la fermeture. Je suis resté avec la vache dans sa cage pendant 2 heures en attendant la tombée de la nuit. Je peux vous assurer que pendant ces deux heures, je me suis posé plein de questions. Pendant 3 ans, lorsque je déplaçais le troupeau vers un nouveau pâturage, cette vache me suivait quand je l’appelais. Je l’avais vue juste après sa naissance et ensuite quasiment tous les jours depuis sa naissance. Sur le chemin de retour, j’étais secoué. Néanmoins,  je suis resté convaincu que l’agriculture locale et régénératrice, basée sur la symbiose entre les plantes et les animaux, combinée avec une consommation raisonnée, est très certainement celle que l’homme dois choisir afin de vivre en équilibre avec les autres créatures.

Ce qui me met en colère encore aujourd’hui, car nos efforts pour faire changer les lois sont restés infructueux, est la proscription des abattoirs mobiles.  Auparavant, ils passaient de ferme en ferme et offraient une mort soudaine et sans stresse aux animaux. Le lobbying des transporteurs d’animaux a porté ses fruits et ils ont obtenu cette interdiction. Ceci doit changer.

Etes-vous en train de dire qu’il faut un retour aux pratiques de l’époque médiévale ?

Il est possible que certains aimeraient un retour à l’époque du servage, mais ce n’est certainement pas mon cas. Néanmoins il faut absolument réfléchir à l’équilibre, au bonheur et à la signification d’ « être humain ». La richesse d’aujourd’hui n’est qu’illusoire car elle est basée sur des ressources qui sont proches de l’épuisement.  Ceci crée une situation particulière. Les moyens d’existence, les conforts et les loisirs pour des milliards de personnes détruisent l’environnement, mais ces mêmes personnes veulent vivre dans un environnement propre.

Pour être clair, si nous remplaçons les carburants fossiles avec l’énergie éolienne mais nous continuons à rechercher le luxe matériel et l’oisiveté malheureuse, l’acte ne sert à rien. La réponse vient du savoir-faire concernant l’utilisation efficace de l’énergie – y compris l’énergie humaine. Cette idée implique qu’il faut prendre en considération le bonheur et la retenue ; vivre sa vie de façon raisonnable, selon une échelle humaine. En fait, nous avons besoin de débattre ce qui constitue l’échelle humaine, ce qui enrichie l’humanité et ce qui l’empêche de s’améliorer. Les processus destructeurs ne sont pas « inévitables » et ceux qui le disent sont très certainement des commerciaux pour un produit ou un autre. Adoptons des solutions qui sont petites, évidentes, simples et pas trop chères. Les solutions de grand format ont tendance à rendre encore plus compliqués les problèmes qu’elles étaient censées résoudre. Elles peuvent ainsi qu’en créer d’autres.  Les solutions petit format ne peuvent fonctionner que si l’on arrête de faire confiance aux spécialistes, au gouvernement et aussi aux dirigeants des grandes sociétés.  Ces derniers revendiquent des connaissances exclusives concernant les problèmes agricoles, et ce depuis longue date, mais ils ne font qu’aggraver les problèmes tout en s’enrichissant de manière très importante.

L’état de notre source d’approvisionnement alimentaire, et les solutions potentielles pour l’améliorer, nous fournissent un bien absolu autour duquel nous pouvons nous unir.

Avec autant de cynisme et de relativisme, nous n’avons aucune conviction qui nous pousse à agir. Il se peut que les extrémistes religieux d’aujourd’hui agissent dans un but de retrouver une orientation claire à suivre avec détermination. Notre bien absolu pourrait s’appeler « la bonne santé ». La santé de nos champs, de nos rivières, de nos océans, de nos familles, la nôtre, de nos communautés. C’est un point de départ qui nous permet de voir le tout dans son ensemble. La division et la concurrence, qui prétendent être des « marchés libres », trouvent leur véritable expression dans la lutte actuelle entre l’humanité et le monde naturel. Il n’y aura pas de triomphe d’un concurrent, seulement l’épuisement d’un des deux.

 

1 comment to Andy Cato, star de la musique électro, maintenant « Le parfait Boulanger » Présentation au Lycée Agricole