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Pouvons-nous apprendre à embrasser un avenir avec moins de voyages en avion ?

Par Rob Hopkins le 24 novembre 2016; traduit de son article en anglais par Sylvie Decaux, avec l’aide de Corinne Coughanowr et Muriel Fantin

 

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La semaine dernière, j’étais à HEC, une prestigieuse école de commerce près de Paris. À un moment donné, j’ai fait cours à une classe d’étudiants en première année, la crème de leur génération, qui étaient à HEC pour acquérir la meilleure formation possible afin de devenir les cadres de demain. Leur premier projet consistait à se projeter en 2035, à imaginer à quoi cela pourrait ressembler et quel pourrait être le rôle / la forme / l’approche d’une multinationale en particulier à ce moment-là. Donc, les pauvres étudiants ont eu 2 heures avec moi (mettez-vous à leur place !). Durant les questions/réponses, notre discussion est arrivée sur le sujet des voyages en avion, et dans quelle mesure cela serait, ou ne serait pas possible en 2035; et c’est à ce moment que c’est devenu très intéressant.
 
Il a été évoqué que je ne prends pas l’avion (depuis 2006, à l’exception d’un voyage). Etant donné que la science du climat dit que nous devons réduire notre empreinte carbone à environ 3 tonnes par personne et par an, alors que la moyenne actuelle est de 9 tonnes (pour le Royaume-Uni), et qu’un vol aller/retour Royaume-Uni – New York représente plus de 1 an de quota, les voyages en avion seront, en 2035, par nécessité, guère plus qu’un luxe occasionnel.
 
Ce groupe de jeunes se considère comme citoyens du monde. Beaucoup d’entre eux sont des étudiants internationaux, prenant l’avion à tout va, et sans y penser, pour rentrer à la maison pour les vacances, partir en vacances ailleurs, ou faire un stage de l’autre côté de la planète. Prendre l’avion régulièrement est considéré comme un acte quotidien au même titre que manger et respirer. En se remémorant la séance, il est fascinant de voir comment la discussion a conduit le groupe à traverser au moins les quatre premières des « Cinq étapes du deuil » d’Elisabeth Kübler-Ross.
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On a commencé par le déni. Nous avons parlé de ce à quoi pourraient ressembler les universités en 2035, surtout les universités à vocation internationale comme HEC. Il est évident que réduire les voyages en avion de manière significative d’ici 2035 serait impossible étant donné la nature des universités aujourd’hui, argua un étudiant. J’ai contré en disant que les universités seraient obligées de s’adapter au monde autour d’elles, et que peut-être que le concept d’études internationales ne serait une option que si elle était combinée au concept de voyage lent, un peu comme le Grand Tour à l’époque victorienne. Les formations en ligne seraient beaucoup plus répandues, ou tout simplement on reviendrait au fait d’étudier près de chez soi.
 
Pour moi, c’est George Monbiot dans son livre « Heat » qui répond le mieux au déni en mettant le doigt sur l’essence du débat : « la croissance de l’aviation et la nécessité de se préoccuper du changement climatique ne sont pas conciliables. » L’aviation, dit-il, doit être réduite de 87% si nous voulons rester en dessous de 2 degrés, et notre objectif doit être en réalité en dessous de 1,5 degrés. La question n’est pas de savoir si on ouvre une nouvelle piste à Heathrow mais plutôt laquelle des deux pistes existantes ferme-t-on ? Et ce n’est qu’un début.
 
Pourtant, comme l’a fait remarquer un étudiant, les projections de l’industrie aérienne indiquent une croissance significative des voyages en avion d’ici 2035. J’ai répondu que c’était ce à quoi il fallait s’attendre de la part de l’industrie de l’aviation, une prophétie auto-réalisatrice. Nous savons que « prédire et fournir » est un modèle qui ne fonctionne pas pour les voitures et les routes ; pourquoi n’est-il toujours pas remis en cause pour les voyages en avion ?
 
Puis nous sommes passés à la colère, bien que plutôt sourde, un sentiment d’indignation silencieuse à cette idée. J’ai fait remarquer que pour moi, la réduction des voyages en avion était inévitable et que si on commençait à vivre comme ça, la transition serait moins traumatique. Si tous les aéroports du Royaume Uni fermaient demain, cela m’affecterait très peu, alors qu’il y a dix ans j’aurais trouvé cela très perturbant. Prenez de l’avance sur ce qui se profile.
 
Ensuite ça a été le marchandage. « Mais sûrement on pourrait avoir des sources d’énergie alternatives ? » demanda un jeune homme. « Par exemple ? » « L’électricité ? Les biocarburants ? » J’ai fait remarquer que des batteries assez grandes pour permettre à un avion commercial de voler sur de longues distances l’alourdiraient tellement qu’il serait incapable de décoller, et que créer un réseau d’énergies renouvelables suffisant pour alimenter notre économie, nos maisons et potentiellement des voitures électriques avec très peu de carbone, était déjà un défi monumental – inutile d’y ajouter le secteur de l’aviation. Les biocarburants sont une solution mais cela signifie prendre la nourriture de la bouche des enfants pauvres pour permettre aux riches de continuer à prendre l’avion.

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Un autre étudiant continua le marchandage en rajoutant de l’hydrogène et des micro-algues au mélange. L’hydrogène, dis-je, est simplement un porteur, pas un carburant, et on a besoin d’électricité pour le créer, donc tous les arguments ci-dessus s’appliquent. Mon co-enseignant pour la session, Julien Dossier, est intervenu pour dire que même on pouvait passer le processus de production d’électricité à partir d’algues à l’échelle industrielle, ce qui est loin d’être sûr, les pressions commerciales pour faire pousser le plus d’algues possible par mètre carré signifieraient qu’on développerait des souches qui se multiplieraient aussi rapidement que possible et qui inévitablement s’échapperaient dans les cours d’eau, créant une catastrophe pour la biodiversité.
La quatrième étape de Kübler-Ross est la dépression. Une jeune femme dit qu’elle habite le Maroc, étudie à Paris, et retourne régulièrement chez elle pendant les vacances. C’est ce que Monbiot appelle les miles d’amour, « la distance que vous devez voyager pour rendre visite à des amis, des amours ou de la famille de l’autre côté de la planète ». Il identifie succinctement le coeur de la question comme étant le point où « nous nous trouvons face à deux codes moraux valables qui sont irréconciliablement antagonistes ».
 
Julien a évoqué une brouille familiale du fait qu’il n’est pas allé au mariage d’un ami proche de l’autre côté de la planète, et j’ai fait part d’expériences similaires. C’est douloureux. Et quelle réaction adopter quand un ami commence à vous raconter leurs deux semaines de vacances merveilleuses sur les plages de Phuket (3,16 tonnes de CO2) ? Maintenant nous acceptons de marquer notre désapprobation si par exemple quelqu’un fume trop près d’un bébé, mais la question des voyages en avion demeure très délicate socialement.
 
La classe a-t-elle atteint l’étape de l’acceptation ? Je ne pense pas, pas encore. J’imagine que le sujet a été pas mal discuté dans les bars et les cafés d’HEC ce soir-là. Mais, comme l’a dit Julien plus tard en cours, s’ils voulaient réussir comme entrepreneurs en 2035, c’est la réalité qu’ils devaient prendre en compte. Durant la révolution industrielle, les gens qui ont bien compris vers ou on allait, qui lisaient les pierres divinatoires, ont été capables de créer des entreprises florissantes, comme ils l’ont fait lors de toute transition majeure. Celle-ci n’est nullement différente.
 
Mais vous devez lire les pierres divinatoires correctement, et dans ce cas, les runes nous disent que d’ici 2035 il y aura très peu d’avions dans le ciel. La Transition a besoin d’entrepreneurs de talent, mais ils doivent démarrer d’un endroit qui résonne avec la réalité des défis auxquels nous faisons face tout comme les opportunités qu’ils présentent, et avec un ensemble de valeurs et de motivations différentes.

 

 

 

 

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